Mort le 6 juillet 1981, Michel Decker a donné, malgré lui, son nom au concours de marteau qui anime, chaque année, le meeting international de Forbach. Prolongeant ainsi la mémoire d’un garçon fauché en plein vol par la bêtise humaine.
Dans
ce petit coin de Moselle, personne n’a oublié. Et ceux qui ont vécu, au cœur ou presque, cette terrible nuit de juillet 1981, en parlent encore avec émotion. A 20 ans, Michel Decker avait toute la vie devant lui. Fierté de Schoeneck, son village d’enfance, et de Forbach, son club de cœur, le lanceur de marteau était promis à un avenir des plus brillants. Recordman de France espoir de la discipline, vice-champion de France dès sa deuxième année chez les seniors, il s’apprêtait à intégrer, en 1981, le bataillon de Joinville et les Jeux Olympiques de Los Angeles en 1984, c’était sûr ou presque, ne se feraient pas sans lui.
Mais le destin, parfois…
Un désaccord réglé sur le parking
« Michel avait deux ans de plus que moi. Quelques jours avant d’être assassiné, il était chez moi. Partir pour un motif aussi futile, c’était inconcevable », reconnaît, aujourd’hui encore, Pascal Schuler, président de l’US Forbach et directeur du meeting dont la prochaine édition se tiendra le dimanche 26 mai. Engagé dans un match amical entre la France et l’Allemagne le 3 juillet 1981 à Stuttgart, Michel Decker rentrait passer le week-end chez ses parents à Schoeneck. Le 5 juillet au soir, il décide de sortir avec ses amis du côté de Stiring-Wendel, dans une discothèque, la « Porte de France », où il a ses habitudes.
Croyant reconnaître une personne, il entame une discussion avec elle pour savoir où ils auraient pu se croiser. Michel Decker pense que c’était lors d’un voyage dans le Pacifique, « à Tahiti ou Nouméa ».
Le « procès de l’absurdité humaine »
Son interlocuteur, pas très précis en géographie et sans doute pas aidé par les quelques verres de vin vidés sur le comptoir, lui rétorque que « Tahiti et Nouméa, c’est la même chose » et accuse le lanceur de marteau de se « moquer » de lui. Un troisième homme, Paul Horn, entre alors en scène pour défendre son ami puis chacun reprend le fil de sa soirée en laissant cette discussion de côté. Jusqu’à ce qu’elle reprenne et se durcisse sur le parking du dancing, quelques minutes après la fermeture. Une violente bagarre éclate, lancée par Paul Horn avec un coup de pied et conclue par deux coups de poing de Michel Decker, qui laissent son adversaire au sol sous les rires de quelques clients encore présents.
Humilié et aviné, Paul Horn va alors commettre l’irréparable. Ce tourneur de 27 ans, marié et père de famille, retourne en voiture jusqu’à son domicile, situé à 600 m seulement de la discothèque, pour récupérer un fusil 22 long rifle semi-automatique. A son retour sur le parking, Michel Decker est toujours là, au côté de ses amis. Paul Horn sort de sa voiture, menace le champion avec son arme puis s’avance vers lui et vide son chargeur dans sa direction, l’achevant de deux balles à bout portant alors qu’il se trouve déjà au sol. Lourdement touché, Michel Decker est transporté au centre hospitalier de Forbach où il est déclaré mort à 5 h du matin. L’affaire, aussi violente qu’inattendue, marquera de longs mois Stiring Wendel et les communes aux alentours. Long à se dessiner, le procès, qualifié de « procès de l’absurdité humaine » par notre confrère de l’époque, André Bonneau, verra Paul Horn condamné à vingt ans de réclusion criminelle et finalement sombrer dans un juste oubli. Michel Decker, lui, continue de rayonner, au milieu des meilleurs du monde de sa discipline, sur le plateau du marteau au Schlossberg…
Jean-Marie Choffart : « On aurait pu encore passer de si belles années »
Entraîneur de Michel Decker, Jean-Marie Choffart garde, quatre décennies plus tard, un souvenir fort de son ancien athlète.
Jean-Marie Choffart, quand aviez-vous entraîné Michel Decker pour la première fois ?
« Je l’ai connu tout petit, en poussins. Il était à l’école d’athlétisme à Forbach et à cet âge, on fait un peu de tout. Mais Michel voulait absolument faire du marteau, puisque c’est ce que faisait son grand frère Gilbert. Ça a été une très belle ambition. C’était un gaillard formidable, aux aptitudes extraordinaires. »
« Il avait fait deuxième des championnats de France dès sa première année chez les seniors. Il commençait à faire des tournées un peu partout dans le monde. Il avait le record de France espoir à l’époque. Les instances nationales l’ont alors pris en main à l’Institut national du sport mais chaque week-end, à son retour, il me téléphonait pour qu’on aille faire une séance. On ne peut pas toujours dire mais oui, il avait un avenir très prometteur devant lui. »
De l’homme, que gardez-vous ?
« C’était un chic type, vraiment. Michel, tout le monde voulait être son copain. Il était très gentil mais avait une petite manie, d’aller boire un coup dans ce bar à Stiring-Wendel. Il m’appelait souvent pour me dire de l’accompagner. J’y suis allé quelques fois. »
Comment avez-vous appris sa disparition à l’époque ?
« La police ou une psychologue m’a appelé. Le petit moustique qui vient chasser le gaillard costaud. A la fin, le gaillard costaud en a eu marre et lui a mis une claque. C’est une histoire très triste. On aurait pu passer encore de si belles années.»